Le droit d’apprendre

Temps de lecture : 7 minutes

Le droit à l’éducation

L'éducation est reconnue comme un moyen pour favoriser le développement humain, la justice sociale et la démocratie. Depuis plus de 75 ans, la communauté internationale affirme, à travers divers traités et déclarations, que l’éducation est un droit fondamental. Ce droit ne s’arrête pas aux frontières géographiques, économiques ou sociales. Il concerne chaque être humain, et ce, peu importe son identité. Pourtant, dans de nombreuses situations, comme la pauvreté, l’exclusion ou la détention, ce droit reste fragilisé. Malgré les inégalités qui demeurent, l’éducation est un droit fondamental que personne ne devrait perdre.

Je te préviens d’emblée, cet article est un peu plus costaud que d’habitude. On va plonger dans des articles de lois, des déclarations internationales et des principes juridiques. Si on veut vraiment comprendre pourquoi l’éducation est un droit, et non un privilège, il faut passer par là!


La Déclaration universelle des droits de l’Homme

Il est important de mentionner d’entrée de jeu que l’éducation est un droit fondamental qui a été reconnu à plusieurs reprises par le droit international. En effet, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH), proclamée et adoptée en 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies, garantit à son article premier que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » [1]. Plus précisément, on peut lire à l’article 26 de cette déclaration que :

Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. (DUDH, article 26)

Ce principe établit l’idée que l’accès à l’éducation, y compris postsecondaire, ne doit pas être conditionné par l’origine sociale, culturelle ou économique, mais plutôt ouvert à toute personne désirant en bénéficier. Dans cette optique, il est pertinent de revenir brièvement sur le contexte historique dans lequel cette déclaration a vu le jour.

La DUDH a été adoptée le 10 décembre 1948 à Paris, dans un contexte d’après-guerre marqué par le désir de reconstruire un monde fondé sur la dignité humaine, la paix et la justice. Les discussions autour de ce texte ont duré plus de deux ans, mobilisant les délégations des États membres des Nations Unies dans une volonté de doter l’organisation d’un document de référence pour guider l’action internationale en matière de droits humains [2].  À l’origine, le document portait le titre de « Déclaration internationale des droits de l’homme », ce qui renvoyait principalement aux relations entre nations.

Ce n’est que dix jours avant son adoption qu’il a été rebaptisé « Déclaration universelle des droits de l’Homme », marquant ainsi un changement symbolique important, soit le passage d’un projet interétatique à une vision universelle des droits, applicables à chaque être humain, indépendamment de son statut ou de sa nationalité [2, p. 101]. Enfin, son adoption a aussi lancé le chantier de ce que l’on appelle aujourd’hui la Charte internationale des droits de l’homme, composée de la DUDH et de deux pactes adoptés en 1966, l’un sur les droits civils et politiques et l’autre sur les droits économiques, sociaux et culturels [2].


Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Ensuite, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté en 1966 et ratifié par le Canada en 1976, renforce le principe voulant que l’éucation soit un droit. L’article 13 du PIDESC stipule que les États reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation. Le sens du mot éducation peut être interprétée de manière très large et libérale puisque « l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine » [3, article 13]. De plus, on y mentionne que l’éducation doit permettre aux personnes « de jouer un rôle utile dans une société libre » [3, article 13]. Finalement, l’éducation a aussi comme but de « favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié » [3, article 13].

En ce qui concerne les visées plus précises de l’éducation, « l'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous » et « l'enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l'enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité » [3, article 13].

De plus, on peut aussi lire à cet article que « l'éducation de base doit être encouragée ou intensifiée » ce qui démontre qu’une éducation minimale est souhaitée pour l’ensemble de la population [3, article 13]. En ce qui concerne l’accès à l’enseignement supérieur, le PIDESC est vocal par rapport à son importance. Il est mentionné que « l'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité » [3, article 13].

Ce pacte insiste donc sur une dimension progressive du droit à l’éducation, soulignant que les États doivent continuellement améliorer l’accès à tous les niveaux d’enseignement, et ce, sans distinction.  Le fait que ce droit ait été intégré dans un traité ratifié donne au Canada une responsabilité concrète d’assurer que les principes d’accessibilité, d’égalité et de gratuité soient appliqués.


Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIe siècle : Vision et actions

En 1998, nous assistons à la Déclaration mondiale sur l'enseignement supérieur pour le XXIe siècle : Vision et actions et Cadre d'action prioritaire pour le changement et le développement de l'enseignement supérieur (DMES), adoptés par la Conférence mondiale sur l'enseignement supérieur. Cette déclaration voit le jour dans un contexte marqué par l’arrivée d’un nouveau siècle et une « demande sans précédent dans le domaine de l'enseignement supérieur, qui connaît une grande diversification » [4, p.1]. L’enseignement supérieur y est décrit comme « tout type d'études, de formation ou de formation à la recherche assurées au niveau postsecondaire par un établissement universitaire ou d'autres établissements d’enseignement agréés comme établissements d'enseignement supérieur par les autorités compétentes de l'État » [4, p.2].

Plusieurs obstacles et difficultés reliées à l’enseignement supérieur sont mentionnés, notamment « l’égalité dans les conditions d'accès » [4, p.1]. Cette Déclaration a aussi vu le jour dans un contexte marqué par une grande augmentation de la population étudiante aux études supérieures. En effet, en 1960, on répertoriait 13 millions de personnes étudiant dans un programme d’études postsecondaire et ce chiffre est passé à 82 millions en 1995, soit seulement 35 ans plus tard [4]. Selon l’article 1 de la DMES, l’enseignement supérieur a plusieurs missions et fonctions, notamment celle de former « des diplômés hautement qualifiés et des citoyens responsables » et d’offrir « un espace ouvert pour la formation supérieure et l'apprentissage tout au long de la vie » [4, p.4]. L’article 3 est entièrement dédié à l’accès équitable et stipule notamment que « aucune discrimination ne saurait être admise pour ce qui est de l'accès à l'enseignement supérieur » et parmi les formes de discrimination interdite on note entre autres une « distinction économique, culturelle ou sociale ou encore de handicaps physiques » [4, p.5].

Finalement, l’article 3d) fait une mention directe à l’accès à l’enseignement supérieur des groupes marginalisés. Parmi ceux-ci, on note « les groupes défavorisés » [4, p.5]. Pour ces derniers, cet accès doit donc être « activement facilité » puisque ces groupes peuvent « posséder, collectivement et individuellement, une expérience et des talents qui peuvent être d'une grande valeur pour le développement social et national » [4, p.5].

Également, l’article 8 est particulièrement pertinent pour démontrer l’importance de la diversité et l’égalité des chances dans l’enseignement supérieur. En effet, cet article mentionne l’importance d’ « élargir l'accès à des publics de plus en plus variés », notamment en développant de « nouvelles possibilités d’éducation » comme des « cours de brève durée, études à temps partiel, emplois du temps souples, cours modularisés, apprentissage assisté à distance » [4, p.7]. Il y a donc déjà durant ces années le souci de rendre l’éducation plus inclusive et accessible à un grand nombre de personnes.

En outre, l’article 9a) est très pertinent, puisqu’il met de l’avant le fait que le monde change rapidement et qu’il est nécessaire de s’y adapter, le système de l’éducation n’y faisant pas exception :

Dans un monde en proie à des changements rapides, chacun perçoit la nécessité d'une  nouvelle  vision  et  d'un  nouveau  modèle  pour  l'enseignement  supérieur,  qui  devrait être centré sur l'apprenant,  ce  qui  implique  dans  la  plupart  des  pays  des  réformes  en   profondeur  et  une  politique  d'accès  ouvert,  pour  accueillir  des  catégories  de  personnes   de  plus  en  plus  diverses,  et  une  révision  de  ses  contenus,  méthodes,  pratiques  et   moyens  de  transmission  des  connaissances,  sur  la  base  de  nouveaux  types  de  liens  et   de partenariats avec la communauté et la société au sens le plus large [4, p.7]. 

Toujours selon cette déclaration, plusieurs articles sont en lien direct avec la communauté étudiante. Il est notamment mention du « passage des étudiants du secondaire au supérieur à n'importe quel âge », rappelant qu’une grande partie de la population n’a pas un parcours typique et valorise ainsi l’apprentissage tout au long de la vie. De plus, il est aussi mentionné l’importance de « tenir compte des besoins de catégories de plus en plus variées d’apprenants » [4, p.8]. Finalement, l’article 10d) explique que « les étudiants qui abandonnent leurs études devraient pouvoir réintégrer l'enseignement supérieur s'il le faut et quand il le faut » [4, p. 8].


Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, 1955

Le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime a réuni plus de 50 États et 500 participants dans un contexte d’après-guerre et marqué par la hausse du nombre de détenus, notamment en Europe [5]. Ce congrès portait principalement sur le traitement des mineurs délinquants et des personnes incarcérées. Parmi les thèmes abordés, on retrouve les établissements pénitentiaires ouverts, la formation et le statut du personnel pénitentiaire, le travail en détention et l’influence des médias sur la délinquance juvénile [5]. Le congrès a formulé plusieurs recommandations, notamment sur la prévention de la délinquance juvénile par le biais de la famille, de l’école, des services sociaux et d’un personnel pénitentiaire mieux formé [5]. Ce rapport mentionne que le but premier de l’école n’est pas la prévention des crimes et de la délinquance, mais qu’elle :

exerce une influence considérable sur le développement de l’enfant et de l’adolescent, et si elle n’a pas pour but de prévenir la délinquance juvénile, il n’en est pas moins vrai qu’elle remplit un rôle important du point de vue de cette prévention. [5, p.54]

Plus spécifiquement, les discussions entre les différentes nations ont permis d’arriver à la conclusion que l’école joue un rôle important à bien des égards dans le développement des jeunes. En effet, on peut lire dans ce rapport que « la fonction de l’école était en fait semblable à celle de la famille, car elle avait pour mission non seulement d’instruire, mais d’éduquer au sens large du mot » [5, p. 54]. On y mentionne aussi plusieurs autres facteurs de protection face à la délinquance notamment la « fréquentation scolaire obligatoire » et « l’attitude de l’instituteur à l’égard de l’élève, sur le plan individuel comme sur celui de la classe en tant que groupe » [5, p.54].

De plus, une notion particulièrement intéressante est le rappel de l’importance « des mesures spéciales à prendre à l’égard des enfants qui en ont besoin » [5, p.54]. Cette mesure reconnait donc les spécificités de chaque personne et la nécessité de s’y adapter. À la suite de ce premier congrès, d’autres ont eu lieu dans différents pays, à quelques années d’intervalle [5]. En 1980, lors du sixième congrès qui s’est déroulé à Caracas, au Vénézuéla, plusieurs sujets ont été abordés, notamment les stratégies de prévention du crime. Plus précisément, il a été mention de l’importance « de reconnaître que les programmes de prévention du crime devraient faire partie intégrante du processus de développement des pays » [6, p.354].

En 2015, la Commission des Nations Unies pour la Prévention du Crime et la Justice pénale (CCPCJ) se réunit et arrive à consensus par rapport à la révision des règles adoptés en 1955.  La Commission soumet alors l’ensemble de règles minima des Nations-Unies pour le traitement des détenus (Règles Mandela), pour approbation au Conseil économique et social (ECOSOC). Dans cette version plus actuelle des règles minimas pour le traitement des détenus, on peut lire que le fait de perdre sa liberté doit aussi avoir « pour but, autant que la durée de la condamnation le permet, de leur donner la volonté et les moyens de vivre dans le respect de la loi et de subvenir à leurs propres besoins, après leur libération » [7, règle 91].

Finalement, cette mise à jour mentionne expressément que « les administrations pénitentiaires et les autres autorités compétentes doivent donner aux détenus la possibilité de recevoir une instruction et une formation professionnelle et de travailler » [7, règle 4.2]. Afin d’augmenter les chances de réussite de la réinsertion sociale, il est aussi nécessaire de s’adapter aux particularités de la personne incarcérée, notamment en tenant compte « de ses antécédents sociaux et judiciaires, de ses capacités et aptitudes physiques et mentales, de sa personnalité, de la durée de la condamnation et de ses perspectives de réinsertion » [7, règle 92.1].

En somme, l’éducation est un droit fondamental solidement ancré dans les instruments internationaux des droits humains. Que ce soit par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIe siècle ou encore les Règles Mandela, on observe une volonté constante de reconnaître, de garantir et d’élargir l’accès à l’éducation à tous les niveaux, et ce, sans discrimination. Ces textes soulignent l’importance de favoriser un accès équitable à l’éducation, de s’adapter aux besoins variés des individus et de leur offrir les conditions favorables à leur épanouissement et leur développement. Ainsi, même en contexte de privation de liberté, l’accès à l’éducation, y compris l’enseignement supérieur, doit être envisagé non seulement comme un droit, mais aussi comme un moyen pour atteindre la justice sociale.


Références

1- https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/

2- Jensen, S. (2022). La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 a 70 ans : entre histoire, mémoire et politique. In Histoire et postérité de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : Nouvelles approches (pp. 99–106). Presses universitaires de Rennes.

3- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. (1996, 16 décembre). https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-economic-social-and-cultural-rights

4- Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIe siècle : Vision et actions. (1998). Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture.

5- Nations Unies. (2015). Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale 1955 - 2015 - 60 ans de résultats https://www.un.org/fr/events/crimecongress2015/pdf/60%20years%20booklet_FR.pdf

6- Laborde, J.-P. (2007). Chronique des Nations Unies. Revue internationale de droit pénal, 77(1), 353–369. https://doi.org/10.3917/ridp.771.0353

7- Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. (décembre, 2015). https://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/Nelson_Mandela_Rules-F-ebook.pdf

Précédent
Précédent

5 suggestions de lecture pour un été inclusif

Suivant
Suivant

Non, votre cerveau n’a pas besoin d’un sevrage de dopamine