La manosphère : quand la haine des femmes se propage en ligne
On entend de plus en plus parler de la manosphère, mais cette expression peut encore sembler abstraite. En résumé, c’est un réseau de communautés en ligne où circulent des discours antiféministes, masculinistes et, dans bien des cas, ouvertement misogynes. Ce phénomène prend de l’ampleur, notamment chez les jeunes, et il soulève des questions importantes sur les rapports de genre, la violence, et les dérives qu’on retrouve sur les réseaux sociaux.
La manosphère n’est pas un mouvement structuré avec un leader. C’est plutôt un ensemble de sous-groupes qui partagent des croyances communes, tout en adoptant des approches différentes. Parmi les plus connus, on retrouve les incels (célibataires involontaires), des hommes qui se disent rejetés par les femmes et qui nourrissent un profond ressentiment.
Il y a aussi les MGTOW (Men Going Their Own Way), qui prônent le retrait total des relations hétérosexuelles, estimant que les femmes profitent des hommes. D’autres, comme les Pick-Up Artists (PUA), se spécialisent dans des techniques de séduction souvent basées sur la manipulation et la déshumanisation des femmes. Et enfin, il y a les Men’s Rights Activists (MRA), qui se présentent comme des défenseurs des droits des hommes, mais dont le discours bascule fréquemment vers l’antiféminisme et la haine des femmes.
Malgré leurs différences, tous ces groupes ont un pount en commun : soit l’idée que les hommes seraient en train de perdre du pouvoir et des privilèges à cause des avancées féministes et des revendications pour l’égalité. Ce soi-disant renversement de situation nourrit l’idée que les hommes sont maintenant les victimes d’un système injuste, dominé par les femmes ou par des institutions influencées par le féminisme.
Bien entendu, cette lecture simpliste ignore les inégalités structurelles réelles que subissent encore les femmes et les personnes issues des groupes historiquement marginalisés. Mais elle trouve un écho chez certains jeunes hommes, particulièrement ceux qui vivent un sentiment d’exclusion sociale ou de perte de repères identitaires.
Malheureusement, ce phénomène est loin d’être marginal. Sur des plateformes populaires comme YouTube, TikTok, Reddit ou des forums spécialisés, ces discours circulent librement, portés par des influenceurs qui se présentent comme des guides, des experts, ou des voix dissidentes face au politiquement correct. Le ton est souvent , provocateur et pseudoscientifique, ce qui rend le tout encore plus attirant, surtout pour un public en quête de réponses simples à des questions complexes.
Le problème, c’est que derrière ces discours se cachent des idéologies dangereuses. La manosphère ne se contente pas de remettre en question certaines idées féministes . Elle banalise la haine, elle renforce les stéréotypes sexistes, et dans ses formes les plus radicales, elle encourage la violence. Plusieurs attaques violentes, notamment au Canada et aux États-Unis, ont été directement associées à des individus issus de ces communautés. Pensons, par exemple, à la tuerie de Toronto en 2018, où un homme se revendiquant du mouvement incel a foncé avec sa camionnette sur des piétons, tuant 10 personnes.
Mais le danger ne réside pas uniquement dans les actes de violence extrême. Il se trouve aussi dans la manière plus subtile dont ces discours s’infiltrent dans la culture numérique et influencent par la suite les perceptions des jeunes. En effet, ces discours normalisent des idées sexistes sous couvert de liberté d’expression ou d’humour. Ce glissement est d’autant plus préoccupant que les algorithmes des réseaux sociaux favorisent la circulation de contenus polarisants, créant des chambres d’écho où ces idéologies se renforcent mutuellement.
Pourquoi la manosphère séduit-elle autant ? En partie parce qu’elle répond à un vide. Les modèles traditionnels de masculinité sont de plus en plus remis en question et beaucoup d’hommes, en particulier les plus jeunes, se retrouvent sans repères. Ils vivent des frustrations, des échecs, des doutes face aux attentes sociales, mais peu d’espaces existent pour en parler de façon saine et constructive. La manosphère vient combler ce vide, mais elle le fait en orientant ces frustrations vers le ressentiment et la haine, plutôt que vers la réflexion et la remise en question.
Selon moi, la réponse à ce problème ne peut pas être uniquement répressive. Bien sûr, il est essentiel de banir les contenus violents en ligne, de lutter contre la haine et le harcèlement. Mais il faut aussi utiliser une autre approche. Il faut ouvrir des espaces de dialogue, déconstruire les stéréotypes de genre et offrir des alternatives aux jeunes hommes qui se sentent perdus ou en colère. L’éducation aux médias et la sensibilisation aux enjeux de genre doivent faire partie de la solution. Il est aussi nécessaire de rappeler que l’égalité ne signifie pas la perte de droits pour les uns, mais l’élargissement des possibilités pour tous les groupes de la société.
Références :
https://droitsdelapersonne.ca/histoire/misogynie-en-ligne-la-manosphere
https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/moteur-de-recherche/segments/rattrapage/1210139/theories-masculinistes-et-reseaux-sociaux-qu-est-ce-que-manosphere